Les nerfs à vif, 1991

Cape Fear

Martin Scorsese

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En promo, Scorsese le répétait en boucle: it’s for fun, il avait réalisé un DIVERTISSEMENT.
La légende disait que son producteur, Spielberg, avait renoncé à le réaliser lui-même, effarouché par tant de violence et avait demandé main forte à son ami Marty.
Tout le monde en a profité pour se moquer gentiment du premier film réalisé par Jack Lee Thompson, lequel, réalisateur attitré du Charles Bronson dernière période, ne faisait évidemment pas le poids devant l’homme de «Taxi driver».
Le rire était facile et masquait un léger malaise : celui de voir justement l’homme de «Taxi driver» se lancer dans un remake de série B produit par Spielberg.

Max Cady sort de prison. Estimant avoir été lésé par son avocat, il se consacre à persécuter ce dernier et sa famille. En 1962, le premier prenait les traits de Robert Mitchum, le second de Gregory Peck. Casting parfait.
En 1992, ce n’est pas mal non plus : De Niro en hyperforme, face à Nick Nolte en contre-emploi subtil. Mais, sérieusement, qu’est ce qui élève « Les nerfs à vif » au dessus du programme de thriller famille en danger que son titre français suggère?
La forme, évidemment : pour le fun, Scorsese ne vole personne. Les pics d’adrénaline se succèdent, le suspens ne lâche jamais entre 2 bouffées d’humour noir, la musique et la photo sont superbes.

Au-delà du ride, le cinéaste cinéphile dispense quelques cadeaux à ses aficionados : cette superbe photo est due au vétéran Freddie Francis (lui-même réalisateur de séries B) et Elmer Bernstein réorchestre le score génial composé par Bernard Herrmann pour le premier opus. Mitchum et Peck font des apparitions malignes en inversant leurs rôles précédents (le premier en flic, le second en avocat douteux). Saul Bass imagine un générique tout en menace lourde et Thelma Schoonmaker augmente la pression depuis la salle de montage.
La qualité du divertissement est à la hauteur des talents qui le composent.

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Toutefois, à l’époque, les Cahiers du Cinéma avaient émis l’hypothèse que «Les nerfs à vif» était à prendre beaucoup plus au sérieux qu’il n’en avait l’air.
Je dois dire que l’idée me plait bien. Sans forcément suivre la thèse qui ferait de Max Cady le réceptacle de la pensée réactionnaire du cinéaste, je pense que quelque chose de sombre et complexe est à l’oeuvre.
La critique française avait entonné l’air de la dénonciation des apparences, la famille idéale étant sujette à des fêlures. Le propos me semble assez limité (on vantera de la même manière le « History of violence » de Cronenberg). Nous ne sommes pas chez Chabrol et la parodie de l’american way of life n’intéresse pas vraiment Scorsese.
Le réalisateur est bien préoccupé par les notions de famille et de violence, de manière quasi métaphysique. Il s’agit d’une famille qui ne peut littéralement rien faire contre ce qui se déchaîne contre elle et « Les nerfs à vif » relève autant du film d’horreur que du film catastrophe.

Je me réfère à ce dernier genre car il a souvent été décris comme la réponse puritaine et métaphorique de la révolution sexuelle. Or, j’ai omis de mentionner le casting féminin.
Jessica Lange, ancien sex symbol, interprète le personnage le plus ingrat du film, celui de la mère de famille, tandis que Juliette Lewis incarne son coeur battant.
Le film est impitoyable envers la femme mûre : incarnation du conservatisme, la scène de sexe qu’elle partage avec son époux relève de la phobie pure, filmée en fondus enchaînés sombres sur les notes angoissantes d’Herrmann (ce qui constitue l’un des angles morts d’une filmographie souvent misogyne).
A l’opposé, le choix de la jeune Juliette Lewis constitue une décision esthétique déterminente. Car la très jeune actrice n’a pas un physique de sitcom. Gueule de cinéma héritée de son père Geoffrey Lewis, second couteau bien connu des amateurs de westerns, elle fusionne enfance et lubricité inconsciente avec une brutalité maladroite qui entraîne ses scènes vers un malaise systématique.

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Le climax du film se situe dans un théâtre de lycée, lorsque la fille de l’avocat rencontre l’homme à la source de tous leurs tourments. Cady / De Niro joue alors une partition onctueuse qui tranche de manière glaçante avec la bestialité jusqu’ici à l’oeuvre. Se faisant passer pour le nouveau responsable du club, il se transforme en professeur de désir, presque à la demande de l’adolescente. Lorsqu’il égraine les titres des écrits d’Henry Miller, un frissons torve nous parcours l’échine.
La famille n’est pas parfaite mais là n’est pas la question, ses enfants porteront toujours le germe de la révolution. Les français adorent cette pulsion, les américains la craignent plus que tout, mais personne ne la contrôle, comme la tectonique des plaques, elle modifie la géographie de manière inéluctable.
Alors Cady, grand méchant loup de comédie ou prêcheur de l’Apocalypse ? Influence Tex Avery ou «Nuit du chasseur» ?
Un peu des 2 pour le spectacle mais plus surement, l’ancien séminariste Scorsese a donné une forme au démon qui parlais à l’oreille de Travis Bickle.

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~ par 50 ans de cinéma sur 4 décembre 2015.

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