Apocalypse now, 1979
Francis Ford Coppola
La première rencontre avec «Apocalypse now», s’est produite via une compilation regroupant la 9ème d’ «Orange mécanique», l’adagio de «Mort à Venise» et «La chevauchée des Walkyries». Dans les notes de pochette, on voyait les affiches des films dont celui qui illustrait les notes wagnériennes : des hélicoptères devant un soleil couchant rouge comme l’enfer… ça avait l’air super.
Or, ma première vision du film s’est révélée parfaitement décevante. Au delà des lignes en secam et de la version française, je me sentais plongé dans un pensum fumeux dont le plus grand mérite consistera à me faire bien marrer devant l’un des sketchs de «Hot shot 2».
Un rendez-vous manqué.
Puis Coppola a repris son montage et sorti «Apocalypse now redux» en 2001, et tout a retrouvé sa place. La «Chevauchée des Walkyries» s’épanouissait en volutes furieux, le ballet des hélicoptères hypnotisait comme les ventilateurs aux plafonds, et je comprenais pourquoi certains étaient prêts à suivre Marlon Brando au coeur des ténèbres. Mieux : je ne comprenais plus ne pas avoir compris un jour.
Ce film est dangereux ! Outre avoir ruiné la santé de ses instigateurs, il envoûte son spectateur telle une messe noire. « Apocalypse now » est est un rite païen qui met en transe les cinéphiles, ces êtres jamais rassasiés du sang versé pour créer leurs cathédrales virtuelles.
C’est en grande partie de là que provient son pouvoir de fascination et aussi son problème.
Le mythe menace sans cesse de faire chavirer l’oeuvre. Quand on voit les bombes au napalm défolier la jungle ou Dennis Hopper jeter des regards fous, il est difficile d’oublier que les 2 choses ne relèvent pas de la fiction.
C’était une autre époque, peut-être l’un des épisodes de la mort du cinéma chère à Godard. Dans son «Nouvel Hollywood», Peter Biskind décrit un concours de bite entre Coppola et William Friedkin, chacun jetant à la face de l’autre les millions de dollars rapportés par «Le parrain» et «L’exorciste». Quelques années plus tard, l’un et l’autre se perdront dans la forêt vierge pour torturer leurs équipes et livrer des chef d’oeuvres, celui de Friedkin se nommant avec pertinence «Sorcerer».
Parallèlement, Werner Herzog tentait de construire un Opéra en Amazonie et Michael Cimino ruinait United Artists avec «La porte du paradis».
On ne pourrait plus faire cela aujourd’hui, et je ne suis pas certain qu’il faille le regretter, si l’on pense aux coupes de cristal, aux pétages de plombs et aux acteurs nourris au chanvre.
On ne pourrait plus faire «Apocalypse now»… et il est impossible de ne pas se prosterner devant ce témoignage d’une période durant laquelle Néron avait pris possession d’Hollywood.