Zama, 2018
Lucrecia Martel
Fin du XVIIIème siècle, dans une colonie d’Amérique latine, le juge don Diego de Zama espère une lettre du vice roi du Río de la Plata signifant sa mutation pour Buenos Aires. Souffrant de l’éloignement et du manque de reconnaissance, il perd patience et, pour se libérer de son attente, se lance à la poursuite d’un mystérieux bandit.
Le (génial) premier film de Lucrecia Martel s’intitulait « La cienaga », c’est à dire le marécage. Elle y auscultait une famille bourgeoise entre ennui estival et refoulements fiévreux.
La cinéaste semble reprendre les choses au commencement, de son cinéma comme de son pays, en nous présentant son héros en train d’observer à la dérobée un groupe de femmes nues en train de s’enduire de vase.
Le grand empire espagnole serait-il né d’une pulsion scopique et fangeuse?
Si don Diego se fait piteusement attraper dans sa position de voyeur, il s’agit, en ce début de film, encore d’une pulsion de vie.
La suite de son aventure consistera en un long voyage de mort, une traversée calme des enfers, qu’il provoque lui-même pour mettre fin à son oisiveté.
Le personnage est d’une belle opacité et son interprète, Daniel Giménez Cacho, lui apporte un fabuleux regard de rapace perplexe.
Souvent, ce regard est troublé par des apparitions qu’il nous impose de mettre en doute : « Zama » est un film de fantômes.
Parfois, ce regard est dédoublé par celui d’un animal, chien, lama, volatile dont la gueule pointe dans le cadre comme pour faire vaciller les derniers repères rationnels dans les magnifiques tableaux composés par Lucrecia Martel.
La première partie du film consiste en un ressassement cendreux dans lequel les vivants ne semble incarner que les bateliers du Styx où ils accompagnent les morts.
Puis, les vivants eux-mêmes tentent le trajet.
Les spectres d’intérieurs se changent alors en diables rouges, , en hommes à têtes d’oiseaux ou en mercenaires édentés qui feront subir la fureur de la jungle à celui qui les a défié.
Au commencement était la boue, et à la fin, adviendra la fièvre.
Werner Herzog n’a pas été mentionné dans cet article.