Fenêtre sur cour, 1954
Rear window
Alfred Hitchcock
Comme le dit la voisine revêche, l’époque veut nous transformer tous en voyeurs.
L’histoire est connue, un reporter aventurier, cloué dans un fauteuil roulant, se met à épier ses voisins, et découvre ainsi un authentique crime dont on ne saura jamais si ce n’est pas son propre fantasme qui l’a précipité.
Longtemps, cet opus hitchcockien m’a semblé un peu mineur, réduit à son concept (comme le plan séquence/film de « La corde »).
Pourtant, ce mantra: devenir tous des voyeurs…
Au début du film, le maître nous gratifie de l’une de ses légendaires apparitions gags en remontant une horloge. Hitchcock maître du temps? Comment en douter?
Ce caméo annonce un voyage trouble dans l’histoire du cinéma.
Film de décors par excellence, « Fenêtre sur cour » rend hommage à l’origine théâtrale du média (avec également la partition, très Broadway, de Franz Waxman) puis à ses origines muettes, chaque appartement observé par James Stewart se transformant en pantomime tantôt comique, tantôt inquiétante.
Et quitte à remonter l’horloge, Hitch va réveiller les vieux mythes européens qui ont si bien nourri le cinéma américain.
La première apparition de Grâce Kelly, de son ombre sur Stewart endormi, est entrée dans la légende vampirique hollywoodienne et annonce les futurs tourments de Scotty et ses désirs contrariés. Incarnation parfaite des cygnes chers à Trumane Capote, Kelly devient une créature trouble, ennemie intérieure que le héros castré aimerait fuir dans les krimis qui se déploient à son regard.
Mais la mise en scène est impitoyable. Ce qui se passe en face ne peut constituer aucun échappatoire : réincarnation de Barbe Bleue, solitaires condamnés à la violence et aux fantômes, animaux tués…
Hitch remonte l’horloge… jusqu’aux origines de l’humanité, de ses fantasmes et décide in fine de doubler la castration du héros !