L’ivresse du pouvoir, 2006
Claude Chabrol
Jeanne Charmant Killman, juge d’instruction, est chargée de démêler une complexe affaire de concussion et de détournements de fonds mettant en cause le président d’un important groupe industriel.
Avec un pareil patronyme, Chabrol offre enfin son premier rôle de super héroïne à Isabelle Huppert. Plus sérieusement, le cinéaste s’attaque de manière frontale à un scandale d’état bien français, l’affaire Elfe.
Après Anne Charpin-Vasseur, élue arriviste délicieusement croquée par Nathalie Baye, voici Jeanne Charmant-Killman, justicière impitoyable des palais de justice, alter ego avouée de la véritable juge Eva Joly.
Avec son récit bien mené, sa galerie de seconds rôles populaires (Berleand, Bruel, Balmer, tous géniaux) et son jeu de masques (en particulier Berléand imitant Loïk Le Floch-Prigent), « L’ivresse du pouvoir » avait tout d’une fiction TF1 enfin réussie. La légendaire fascination du patron pour le petit écran nous laisserait presque imaginer qu’il a sauté le pas.
C’est dans ce petit pas, finalement non franchi, que se confirme l’irréductibilité du cinéma chabrolien.
Comme un pacte oedipien, le metteur en scène Claude offre son meilleur rôle au comédien Thomas Chabrol. Ce personnage, apparemment inutile à l’intrigue (le neveu squatteur de l’héroïne), va insuffler un mauvais esprit jemenfoutiste, grain de sable machiavélique dans la grande enquête, mais finalement salvateur pour l’enquêtrice.
La légende évoque une fâcherie de la magistrate Joly envers l’apparent relativisme du film.
C’est que l’oeuvre est plus complexe que la dénonciation vertueuse attendue (et sur ce plan, Chabrol n’a plus rien à prouver). L’ex enfant de la Nouvelle Vague se fait arpenteur d’un monde gris où l’on peut railler les puissants pour les rattraper à hauteur d’homme lorsqu’ils sont emprisonnés (Berléand, encore, dont le personnage connaît un arc infiniment subtil du début à la fin).
Le titre pouvait, sans doute, s’entendre comme une pique envers la juge, mais là aussi, l’oeuvre se fait plus complexe, à l’instar du plan déjoué des mâles dominants du commerce international qui spéculent sur la proverbiale opposition entre femmes de pouvoir. La greffière, interprétée par Marilyne Canto, se révèlera une alliée précieuse pour Jeanne (on peut, toutefois, ironiser envers les réserves de Joly, que Chabrol n’a pas obligé à se présenter aux élections présidentielles de 2012, expérience rappelant étrangement les effets de l’ivresse du pouvoir…).
Le geste ressemble à un aveu d’impuissance mais constitue plus un constat implacable sur l’humanité.
Nous avons affaire à un film crépusculaire dont le dernier plan abandonne son héroïne dans la nuit.
Ce sera le dernier de la fabuleuse collaboration Huppert/ Chabrol.