La cérémonie, 1995
Claude Chabrol
Sophie, bonne analphabète et secrète mais dévouée, est engagée au service d’une famille bourgeoise de Saint-Malo. Son amitié avec la postière, curieuse et envieuse, va déclencher une série de drames.
Lors de la sortie de « La cérémonie », les cahiers du cinéma s’étaient demandés si Claude Chabrol n’était pas belle et bien le plus grand cinéaste français. Il semble que seule la concurrence de Pialat et son bouleversant « Garçu » ait empêché de trancher la question.
Personnellement, durant une heure cinquante, elle ne se posait même plus. Et puis, à la dernière minute, un ultime détail, une boucle un peu trop lourdement refermée, une légère invraisemblance…m’avait gâché la fête.
Rien qui ne pouvait annuler les grands moments de cinéma qui précédaient, mais le film me quittait sur cette fausse note à chaque vision.
Chabrol, lui, nous a quitté en 2010, laissant une filmographie majestueuse, dont la dernière période s’est révélée toute aussi passionnante que les premières, fait rare qui impose le grand maître.
Alors, avais-je envie de rester fâché avec l’ami Claude pour une histoire de magnétophone bien (mal) placé? Certes non.
D’autant plus que son 49e film s’offre aussi bien comme un opéra du mal que comme une leçon de mise en scène, le terme cérémonie étant à prendre très au sérieux.
Le cinéaste s’est vanté d’avoir réalisé un film marxiste. Nous assisterons donc à une révolution, c’est à dire un enchaînement inéluctable qui aboutira au drame.
Et Chabrol est très fort à ce jeu : du décalage de silhouettes sur un quai de gare en introduction, jusqu’au mouvement de grue qui confirme la sentence finale, en passant par un mouchoir souillé contenant tous les mépris de classe, chaque séquence déploie l’intensité de ce thriller de chambre explosif.
Le metteur en scène ne se fait, cependant, pas idéologue : Sophie et Jeanne, nées de l’imagination de Ruth Rendell, ne sont pas des terroristes, mais des femmes troubles, issue d’un monde pauvre et rude, lequel ne semble plus avoir que la télévision la plus abrutissante comme repère moral.
Tout ce que l’on dira sur Sandrine Bonnaire et Isabelle Huppert restera insuffisant pour retranscrire la puissance de leur jeu.
La première invente une chorégraphie morbide toute en angoisse et maladresse.
La seconde crée la terreur par son seul regard, petite fille maléfique dans un corps d’adulte, sa visite de la maison des maîtres constituant, à ce titre, un magnifique moment d’angoisse.
En face, la famille Lelièvre, bourgeois onctueusement sympathiques, nous invitent, presque à notre insu, à nous identifier.
C’est l’uns des pièges de Claude Chabrol, cette fois, les notables de province ne cachent aucun secret honteux. Le drame s’annonce, implacable, par une série d’évènements regrettables mais incontrôlables comme l’agencement des planètes… une révolution donc.
Classe.