Taste of cement
Ziad Kalthoum
Ziad Kalthoum était soldat en Syrie. Il a déserté en 2014, au moment où ce pays s’enfonçait dans une guerre interminable et a trouvé refuge au Liban.
Durant son exil, il a pris une caméra pour filmer ce qui l’entourait.
Au premier abord, nous voyons donc un Beyrouth de science fiction, hérissé de grattes ciels en construction, proie des bétonneuses et de promoteurs fous.
Au milieu des grues, le réalisateur capte des hommes, ouvriers immigrés comme lui, qui vivent immergés dans le ciment. Le jour, ils triment dans le ciel et la nuit, un couvre-feu les oblige à dormir dans les caves des immeubles dont la construction ne semble jamais devoir finir, et où aucun d’entre eux ne peut seulement rêver d’habiter un jour.
En voix off, se lisent les lettres qu’un de ces anonymes pourrait envoyer au pays perdu.
Kalthoum se fait témoin, dans un premier temps, nous imposant le magma sonore et la perte de repère visuelle de ceux qu’il filme.
Puis, le film bifurque. L’acier et le béton, le grondement des machines, l’humain comme une variable d’ajustement au milieu; le cinéaste retrouve la guerre, celle qu’il avait quitté, mais aussi celle qui avait détruit la ville quelques décennies plus tôt. L’enchaînement est glaçant, comme si une guerre en appelait obligatoirement une autre.
Et puisqu’il s’agit de guerre, il se lance dans un pari gonflé, celui d’introduire parmi ses propres images celles des batailles qu’elles évoquaient seulement jusqu’ici.
Les chars apparaissent comme dans un jeu vidéo (plans volés à l’armée russe) et l’on croirait les voir détruire en direct les constructions en cours. Une forme de jouissance, très hard rock, nous saisit inconsciemment devant ce mixage spectaculaire, et l’on se dit que l’on est pas très loin du mal qui ronge une partie du documentaire moderne, celui qu’on a résumé sous le nom de destruction-porn.
Puis dans un raccourci saisissant, Kalthoum intercale un reportage sur des sauveteurs lors d’un bombardement, contre champs terrible du ballet déréalisé des monstres d’acier.
Il termine par un plan génial, la caméra à l’intérieur d’une énorme bétonnière renvoie l’image incessante d’une ville sans dessus dessous, à l’instar des ombres qui la construisent, tantôt dans les airs, tantôt renvoyés dans ses entrailles.