La forêt d’émeraude, 1985
The emerald forest
John Boorman
Voilà quelques années, Technikart avait commandé une poignée d’articles à Tristan Garcia pour leur supplément du festival de Cannes. L’écrivain s’en était acquitté avec brio, imaginant d’hilarantes uchronies comme le hockey sur glace devenu le sport le plus cinégénique, l’Afrique de l’Est prenant la place du Hong Kong 80’s dans le cinéma d’action ou encore Ken Loach en courageux cinéaste capitaliste.
L’une de ces notules était particulièrement cruelle, mettant en parallèle la carrière de John Boorman avec celle de son suiveur maladroit : Stanley Kubrick.
Il me semble, en effet, que Boorman a souvent prêté le flanc à ce type de moquerie. Entre l’académisme bon teint de « Hope and Glory », la fable bien pensante (« Leo the last ») ou les sommets de pompiérisme kitsch que sont « Zardoz » et « Excalibur », le choix est vaste.
Un film en particulier, me pose problème : « Délivrance ».
Il me pose d’autant plus problème que des personnalités très estimables (cinéastes, critiques, proches) lui vouent une grande admiration. Je me souviens notamment du directeur de l’ESRA qui décrivait avec passion, pour ses nouveaux étudiants, la grammaire utilisée dans sa mise en scène.
Mais rien n’y fait (et je l’ai vu plusieurs fois), passé le célèbre « duelling banjo » (super morceau il est vrai), le cinquième film de John Boorman relève de la dissertation pesante (la sauvagerie enfouie, la nature hostile…) illustrée par la série Z.
Le contraire du très beau « Duel dans le Pacifique » (qui parlait de la même chose) et de « La forêt d’Emeraude » (qui parle aussi de la même chose mais c’est un peu plus complexe).
Sur les photos de presse, on voyait Power Boothe armé d’un M16, plongé dans des rapides furieux, au bras d’un indien blond. Cela ressemblait à une variation dégénérée de « Rambo » et c’est pour cela qu’on avait envie de le voir.
Alors qu’il construit un immense barrage, un ingénieur perd son fils en pleine jungle amazonienne. Après dix ans de recherches, il apprend qu’un jeune Blanc vit au milieu d’une tribu d’Indiens, les « Invisibles ». Il part à sa rencontre.
Les ingrédients sont là: une poignée de plans sur des bulldozers défrichant la jungle, un indien apparaissant comme un fantôme à un enfant blanc, puis le champ vide, l’enfant et l’indien ont disparu tandis que les machines continuent à détruire les arbres. Il s’agit d’une fable écologique.
Toutefois, Boorman n’oublie pas que la Nature n’est pas bonne par nature. Ici, pas d’Eden perdu, mais des forces vitales en contradiction.
Lors d’une séquence fiévreuse, Boothe, entouré d’invisibles aux intentions troubles, se livre à un bref monologue sur la foret vierge ancestrale dans laquelle il ne détecte que charogne et pourriture.
Pour autant, le cinéaste ne néglige pas la portée mystique d’un tel décors (bien aidé par la partition de Junior Homrich). Aux bulldozers, les habitants d’Amazonie opposent leurs rituels et médecines psychotropes. Cela n’empêche pas les morts et la souffrance, mais donne une portée nouvelle à cette histoire de petit blanc confronté à la sauvagerie primale.
Kubrick, Délivrance… C’en est trop. Qu’on arrête cet homme !