Vent d’Est, 1970
Jean-Luc Godard, Jean-Pierre Gorin
Dans son autobiographie, Keith Richards ne trouve qu’une explication à la perplexité qui fut la sienne en visionnant «One + One» : on avait dû glisser un acide dans le café du cinéaste.
Une idée comme une autre, mais dans ce cas les effets se sont fait sentir sur plusieurs décennies.
Comme le disait Lelouch, Godard vous montre comment faire un film. Et c’est sans doute ce que Richards n’a pas compris.
En cette étrange période, l’auteur de «A bout de souffle» démarre ce que l’on appèlera ses années vidéos : des films qu’il réalise le plus souvent avec celle qui deviendra sa compagne, Anne-Marie Miéville et l’homme qui restera dans l’histoire du cinéma comme son frère maudit, Jean-Pierre Gorin. La bande prendra le surnom de groupe Dziga Vertov, en souvenir de «L’homme à la caméra».
Leurs aventures les mèneront à des oeuvres troubles et exigeantes, à des commandes télévisuelles finalement refusées par leurs commanditaires et donc à un cinéma expérimental et politique.
On peut redouter cette filmographie à la fois grave (le côté donneur de leçons) et mordante vis à vis de ceux qui s’en approchent (le côté vous n’avez rien compris à la leçon).
En grand sadique, Godard sait effectivement nous malmener (voir l’expérience hypnotisante mais très dérangeante de «Numéro deux») et nous placer en infériorité (comme avec les discours tenus par Léaud et Berto dans «Le gai savoir»). Mais le maître et ses comparses savent aussi se remettre en cause comme dans «Ici et ailleurs», originellement destiné à être le «Naissance d’une nation» palestinien, et qui évolue en auto-critique marxiste des cinéaste occidentaux fascinés par une révolution du tiers-monde alors qu’il sont incapables de l’organiser chez eux.
«Vent d’Est» tient de tous ces extrêmes. Ils s’agit d’un western collectif qui n’aboutira jamais, la faute au chaos d’un tournage soumis aux secousses sismiques du récent mois de mai 1968.
Mais, là encore, Godard nous montre comment faire un film.
A partir des quelques chutes filmées (où Gian-Maria Volonte semble aussi perdu que dans le désert de «Facia a facia»), d’interviews des équipes en grève, de licences poétiques et de l’art de la dialectique qui lui est propre, le suisse intello parvient à ses fins, à savoir le détournement d’un film de genre américain par les révolutionnaires d’octobre rouge.