Le pistonné, 1969
Claude Berri
Le cinéma français et la mémoire nationale, vieille histoire, mauvaise cohabitation : une bonne raison de célébrer les discrètes réussites de cette union.
Avant l’heure, c’est pas l’heure, après l’heure, c’est plus l’heure! gronde le colonel interprété par le génial Claude Piéplu. Il faut croire que c’était l’heure de réaliser une comédie populaire sur la guerre d’Algérie.
« Le pistonné » commence comme une bidasserie matinée de comédie pied noire : Guy Bedos quitte sa famille sepharade pour faire son service militaire. Manque de chance : bientôt, le conflit dans la grande colonie nécessitera la présence des appelés du contingent.
La première partie du film est très drôle. Claude Berri crée des scènes désopilantes avec des comédiens amis (Piéplu donc mais aussi Jean-Pierre Marielle, Georges Géret, Claude Melki ou le jeune Michel Collucci). Quelques minutes de bonheur pour un genre rarement touché par la grâce.
Puis, les jeunes soldats partent pour l’Algérie et le film largue doucement les amarres. La déconnade militaire fait place à un spleen inquiet, celui des hommes loin de leur univers, acteurs d’un drame qui leur échappe.
La mue se poursuit. Dans une séquence à la sécheresse étonnante, Bedos écrit à sa fiancée qu’elle ne doit plus l’attendre. Berri se fait contemplatif. Il n’aborde pas frontalement les enjeux politiques mais montre de jeunes français qui ne comprennent rien à l’Algérie, désert froid où le soleil disparaît dans l’infini. Il montre la torpeur de la casbah, les missions absurdes, les premières nuits au bordel où chacun, suivi et suivant, vient oublier son adolescence.
A la fin, les bidasses sont passés à côté du drame, ils regagnent la France en pensant retrouver l’insouciance.
Le plan final, d’une cruauté foudroyante, emprisonne l’inconscient de tout ce qui s’est passé là-bas et qui ne passera plus ici…