Taxi driver, 1976

Martin Scorsese

Taxi driver

On n’a jamais fait que fantasmer New-York. Mais on est pourtant tous un peu Travis Bickle. Derrière la vitre, on observe le monde, une main sur la bite, l’autre sur un magnum 44.

C’est le genre de chose que l’on se dit en voyant Scorsese interpréter un monologue obscène dans le rôle d’un des clients du taxi de nuit. La fin de «Mean street» montrait le cinéaste faire une apparition en tueur à l’arrière d’une voiture. L’ancien gamin du Bronx que son asthme dispensait de bagarres de rues reste fasciné par l‘humanité éruptive et grouillante que ce soit derrière un pare brise ou une caméra.

Même si j’ai vu les films, que je consulte les filmographies, je me perds toujours un peu dans les débuts de Scorsese. Pour être plus précis, je ne parviens pas à réaliser que «Mean streets» n’est pas la première pierre de l’oeuvre.
Le rouge, les Stones, Little Italy et De Niro, cela collait tellement bien : un premier film prometteur encore sous influence conjointe de la nouvelle vague et du néoréalisme (les «Vitelloni» rejouent «A bout de souffle»), la première marche avant le chef d’oeuvre ultime.

Mais la réalité est différente. «Taxi driver» est le 5e film de son auteur et le mignon «Alice n’est plus ici» s’intercale après «Mean streets».
Et, finalement, il est rassurant de penser que la profondeur de ce 5e opus doive à plusieurs années de travail de cinéaste.
Après les exercices de style, après l’autobiographie, Martin Scorsese se hisse à la hauteur de ses maîtres européens, sans presque plus rien leur devoir. Car, si l’on a pu discerner des traces d’incommunicabilité antonionienne ou de métaphysique chrétienne à la Bergman (voir la palette de Mario Bava pour certains, pas évident mais l’idée me plaît!), Scorsese réussit clairement un grand film américain et même un grand film de genre, dans une veine impossible : le revenge movie.
«Taxi driver» peut aussi s’apprécier comme cela, c’est à dire la version politique de «Maniac» ou réaliste des «Watchmen».

Taxi1
Lors de la rétrospective consacrée au cinéaste, par la cinémathèque française en 2015, quelque chose me gênait dans le matériel promotionnel. L’affiche consistait en un montage de 2 personnages censés boucler la boucle : d’un côté Robert De Niro, sa veste militaire, son mohawk et son taxi, de l’autre Leonardo Di Caprio tout sourire dans le costard rutilant du «Loup de Wall street». Si j’aime beaucoup ce dernier film, il me semble que les 2 personnages ont peu à voir. L’ancêtre de Jordan Belfort serait plutôt le Tony Montana hystérique de Pacino. Travis Bickle n’entretient pas de rêves de puissance, c’est un bloc de frustration mutique, modèle définitif de tous les petits blancs en colère.
Cet aspect doit beaucoup à Paul Schrader, le scénariste et troisième homme de l’affaire qui a nourri le personnage de la folie et des tentations extrémistes qui l’envahissaient alors.
Ne restait plus à De Niro qu’à réinventer l’actor studio (pour lui Travis était un crabe et il a adapté son jeu en conséquence) et à Marty de signifier que la nouvelle Nouvelle Vague provenait bien d’Hollywood.

En effet, «Taxi driver» c’est aussi un pur geste de cinéma.
La démente séquence finale l’installe dans l’Olympe et me fais comprendre pourquoi je ne suis pas cinéaste.
Le plafond de l’appartement dans lequel elle se tournait était trop bas pour pouvoir effectuer un mouvement en plongée sur De Niro couvert de sang.
Certains se seraient contenté du gros plan sur celui-ci mimant un dernier shot, et seraient déjà entrés dans l’histoire du cinéma.
Pour Scorsese, la décision la plus raisonnable fut d’acheter l’appartement du dessus puis d’en creuser le plancher afin de pouvoir offrir ce plan où l’homme ordinaire et rempli de haine, que nous regardions à hauteur d’homme, est définitivement installé en enfer.

taxi-driver

~ par 50 ans de cinéma sur 13 novembre 2015.

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