Nosferatu fantôme de la nuit, 1979
Nosferatu, Phantom der nacht
Werner Herzog
Au premier abord, ce remake d’un classique de cinémathèque se révèle fort ingrat. La couleur sied mal à l’expressionnisme, le parlant se perd dans les langues d’une coproduction européenne… et le cinéaste semble mal à l’aise.
Werner Herzog, homme de défis physique dont les fictions prennent de la puissance à mesure que se dévoile la folie de leur tournage, pouvait-il retrouver l’angoisse malaisante d’un cauchemar de studio?
C’est bien cet aspect film d’horreur qui menace de perdre le film. Le pauvre Klaus Kinski en est la principale victime. Lui, le dieu de la colère, se retrouve affublé de postiches, obligé de rouler les yeux en débitant un texte sentencieux.
Revoir «Nosferatu, fantôme de la nuit» m’aura permis de comprendre que ce titre n’est qu’un leurre. Herzog ne s’intéresse pas au fantôme mais bien à la nuit.
La pantomime expressionniste lui permet de remonter au romantisme allemand, à Goethe plus qu’à Murnau, cette fascination qui lui imposait de filmer le skieur Steiner comme une créature divine. Il se livre à des compositions picturales souvent fortes et parfois même sublimes lorsqu’il lâche des centaines de rats sur les quais de la ville hollandaise de Delft tandis que les humains agissent comme des noceurs somnambules. Les moutons et les ânes se promenant dans la cité en proie à la peste, sur les accords lancinants de Popol Vuh font le lien avec la peinture flamande.
Outre ce syncrétisme pictural, le cinéaste malmène l’expressionnisme en lui imposant les performances physiques de ses comédiens. Rompue à ce genre d’exercice, Isabelle Adjani, modifie la palette chromatique du film à la force de ses seuls regards. En observant la comédienne, l’absence du noir et blanc se fait progressivement oublier.
Le cinéaste ajoute des plans documentaires de chauves souris et de momies et parvient ainsi à donner l’odeur de la terre et de la cendre à ce qui semblait ne devoir être qu’un essai cinéphile désincarné.
A la fin, Jonathan Harker n’est pas sauvé par le sacrifice de Lucy et part semer le mal à travers le monde. Nosferatu n’était qu’un messager. La contamination ne fait que commencer.
Werner Herzog nous aura donc plongé dans un rêve tantôt envoutant, tantôt grotesque qui nous laisse avec ce sentiment que Freud nommait l’Unheimlich.