Into the Abyss, 2012
Werner Herzog
Werner Herzog s’est réinventé en super auteur grâce au documentaire. Il semble même avoir imaginé un miroir réaliste à sa filmographie fictionnelle : les dictateurs de «Echos d’un sombre empire» sont plus délirants que ceux de «Cobra Verde», «La caverne des rêves perdus» répond au «Cri de la roche», le «Grizzly man» entretient bien des similitudes avec le héros de «Aguirre»…
D’ailleurs, ses documentaires semblent bénéficier d’une meilleure presse et trouver plus facilement le chemin de nos écrans. Herzog en profite, il enchaîne les tournage et s’est créé une étrange starification de vieux sage, sorcier à la voix inimitable, ce qui l’amènera à des coquetteries comme embaucher son compatriote Schlöndorff pour que la voix off française de la «Caverne…» prenne des accents germaniques proches des siennes, voir à des aberrations comme interpréter le méchant d’un film bis avec Tom Cruise.
Alors la méfiance s’instaure insidieusement. Si le sujet herzogien suppose le paroxysme, on reste quelque peu suspicieux en suivant le cinéaste tourner une série de reportages sur le couloir de la mort pour la télé américaine. Lui qui avait résisté à laisser entendre les cris de mort de Timothy Treadwel, se retrouve à filmer des post adolescents condamnés à la peine capitale dans une prison du Texas. Pour ne rien arranger, au début du film, le fétichisme autour de son phrasé se fait dérangeant. Herzog lui-même semble gêné, maladroitement il insiste pour expliquer aux interviewés qu’il est contre la peine de mort tout en précisant qu’il ne peut pardonner le crime sordide pour lequel ils sont condamnés.
Il faut dire que le réalisateur allemand ne dispose pas, ici, de sa matière habituelle : nul décor grandiose ou destin romantique, la banalité du mal uniquement.
Alors Werner Herzog filme le mal. Après les craintes ressenties au début du film, la mise en scène réduite à sa plus simple expression (capter les paroles et les regards) se fait doucement spirale hypnotisante. Les monstres sont là, enfermés, ou pas. La justice les condamne, ou pas. Leur monde semble lui-même constituer une prison à ciel ouvert. L’une de ses dernières oeuvres de fiction s’intitulait «My son, my son what have ye done?» et c’est bien cette interrogation qui émane de ce film à la sécheresse terrifiante.
Le dernier personnage filmé est une jeune femme qui jure n’avoir rien d’une fan de serial killer morbide mais qui est simplement tombée amoureuse d’un beau gosse qui a tué ses voisins alors que cela n’était même pas utile pour voler leur voiture. Avec un air de madone maléfique elle ajoute en souriant qu’elle porte son enfant (suite à un arrangement car le garçon ne peut pas sortir du centre de détention).
Le mal, sa banalité, sa contamination… nous comprenons alors que Werner Herzog répondait à «Nosferatu, fantôme de la nuit».