Voici le temps des assassins, 1956
Julien Duvivier
En 56, Gabin n’est plus très loin de la stature (statue ?) de patriarche du cinéma français. En 57 il interprètera Jean Valjean, les années suivantes Maigret puis les rôles de pères spirituels pour Ventura, Delon et Belmondo. Le film avec Jean Gabin deviendra un genre en soi, et, comme pour ses fils adoptifs, il y manquera bien souvent un regard de cinéaste.
«Voici le temps des assassins» est d’autant plus troublant, au regard de la carrière à venir de la star.
Comme dans «En cas de malheur», il s’agit pour le patron de résister au charmes d’une fausse ingénue. Mais, alors qu’Autant-Lara le filmait comme un monolithe, rendant les scènes de troubles avec Bardot souvent grotesques, Duvivier ramène à la surface le géant au coeur fragile de «La bête humaine» ou du «Plaisir».
Gabin donc, restaurateur parisien, bourgeois débonnaire qui se fera manipuler par une jeune femme qui se présente comme l’enfant de son ex femme. Elle joue la fille comme la femme, se venge d’un père car trahie par sa mère et trompe un jeune romantique comme son mentor. Comme on dit chez Renoir, le malheur en ce monde, c’est que chacun a ses raisons.
Jean Gabin y joue le trouble et la perte de repères avec une infinie sensibilité comme si sa voix grave devenait une supplication pour les hommes de bonne volonté. En face, Danièle Delorme incarne une femme fatale torturée et violente, comme une créature de Fassbinder, tandis que c’est à Gérard Blain qu’échoit le rôle du fils spirituel cette fois-ci.
Le film est beau comme une adaptation secrète de Simenon mais en plus, s’y joue une rencontre unique entre la figure tutélaire d’une certaine tendance du cinéma français et l’un des acteurs fétiches de la nouvelle vague. Il est un peu tard pour les réconcilier mais la confrontation orchestrée par Duvivier fait regretter que les générations ne se soient pas plus mélangées.