La femme du port, 1991

La mujer del puerto

Arturo Ripstein

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Au premier abord, la grouillante filmographie d’Arturo Ripstein offre au spectateur occidental la plupart des clichés inhérents à un cinéma latin. Mélodrames sordides avec des orphelins, des machos moustachus, des femmes tristes mais fières, des bidonvilles où parfois un rayon de soleil…

Le réalisateur de « Principio y fin » s’amuse régulièrement avec ces stéréotypes mais les déjoue sans cesse. Le salut viendra plus de l’ombre que du soleil, les machos couchent entre eux et les femmes sont fières mais tristes. La vie comme un théâtre des apparences. Par le brio de sa mise en scène et surtout un regard profondément humain sur ses personnages, Ripstein parvient à déjouer les attentes du spectateur mal aiguillé. Ses meilleurs films réalisent une étrange passerelle entre la sèche brutalité du fait-divers et l’artificialité intense des drames antiques.

« La femme du port » est l’une des œuvres les plus représentatives du style Ripstein.

Ici, comme souvent, tout commence et tout finira au bordel. Le lieu de perdition est une sorte de grande famille incestueuse au sein de laquelle tous les coups sont permis mais où chaque membre ne peut exister que par rapport aux autres. La caméra n’a donc de cesse que de matérialiser les fils invisibles qui relient les étranges habitants de ce conte immoral. Amples travellings ou regards lourds de menace traduisent des passions sourdes que les nombreuses explosions de violence ne satisferont jamais totalement.

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Dès les premières images, on est donc saisi par l’atmosphère putride et oppressante du port en question, dont Ripstein ne filme que les recoins les plus sombres (égout, docks malodorants) et les habitants les moins recommandables (proxénètes, filles à matelots, clochards…). Cette représentation chargée de la misère est presque kitsch. Hyper stylisé, magnifiquement photographié, ce décor baroque nous fait craindre un instant l’asphyxie. Le cinéaste n’a jamais caché une attirance marquée pour le théâtre au cours de sa filmographie. Or, ce penchant l’a parfois entraîné vers les clichés (« La reine de la nuit » , beau mélodrame, trop souvent tenté par l’image à faire) voir la lourdeur (« L’évangile des merveilles », vain et grossier carnaval). La vision des bas-fonds et des destins morbides qui les hantent rappelle bien des films et pas forcément les meilleurs. Et si l’on songe parfois au maître Fassbinder, c’est pour son œuvre la moins subtile, l’empesé « Querel ».

Ces réticences de bon goût, Ripstein va les dissoudre en forçant le trait de plus belle. Au lieu de cacher l’influence théâtrale, il segmente son filme en actes, limite les rôles à 4 personnages principaux et va jusqu’à filmer le tiers de l’action sur une scène de cabaret. Le film épouse successivement le point de vue de chacun de ses personnages. La réalité se transforme, bien évidemment, selon le ressenti de l’acteur de la situation. Pourtant, le procédé renforce la cohésion du groupe pour qui le monde en dehors du port (et du mélodrame) est une illusion à laquelle ils croient de plus en plus difficilement.

Un secret trouble les oppose avant de les unir définitivement. La révélation que l’on soupçonne explosive (on ne sera pas déçu) soudera définitivement cette étrange famille où les positions de chacun se révèlent des plus mobiles.

Entre-temps, des larmes, du sang et beaucoup d’alcool (la tequila, plus que le vin trop noble) couleront jusqu’à former le réseau le plus tangible entre les personnages du film.

Film sur la décomposition, recomposition d’une famille, « La femme du port » crée une enveloppe viscérale, une toile organique invisible qui enserre le clan, obligé de cohabiter. Ainsi, lorsque la mère oblige sa fille à avorter, le montage subtil nous la présente comme subissant la même souffrance. La glauque humidité du décors a contaminé chaque protagoniste et menace le spectateur qui croirait presque la voir sourdre de l’écran.

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~ par 50 ans de cinéma sur 3 août 2014.

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