L’autre, 2009
Patrick-Mario Bernard & Pierre Trividic
N’aurions nous pas perdu les grands acteurs créateurs?
Qui sont les animaux magnétiques qui attirent la caméra comme la lumière les papillons, où sont passés les fous qui imposent leur rythme au tournage, pour lesquels les cadres sont toujours trop fixes, les travellings toujours à contretemps?
La plupart sont consultables au musée du muet où dans les vestiges du grand cinéma d’après guerre.
Depuis, quelques grands burlesques (DeFunès), certains acteurs martiaux (Bruce Lee) ou les 2 (Jacky Chan) ont construit certains pans du 7e art. Jamais sur un film entier car tous ont en commun d’être orphelins. Les yeux qui les ont filmés ne se sont, la plupart du temps, préoccupé que de suivre, de cadrer, de tenir les délais (et on les comprend tout en le regrettant).
Hollywood nourrit encore ce type de monstres mais les tient en laisse (Robin Williams, Jim Carrey…) ou les cache (Vincent D’Onofrio). La France oublie les siens (Pierre Richard, Isabelle Adjani, Jean-Pierre Léaud…), la grande Isabelle Huppert occupant presque seule le terrain.
Il faut donc profiter des belles rencontres, celles qui dépassent le compliment (beau jeu + belle mise en scène) pour créer un vortex imprévisible.
« L’autre » nous lance une promesse, celle d’une expérience chimique, d’une séance durant laquelle il se passera, effectivement, autre chose.
Dans une voie proche de l’espagnol « La influencia », Bernard et Trividic explorent la réalité sociale de leur pays comme une performance artistique. Les RER, filmés comme de terrifiants vaisseaux spatiaux, semblent modeler l’univers urbain en même temps qu’ils le parcourent. Le quotidien est étrange, le documentaire est un genre horrifique.
Pour ce projet, il fallait une structure narrative. Pourquoi pas une histoire de jalousie?
Pour cette histoire il fallait un personnage qui cristalliserait toute la violence de son drame personnel et de son entourage.
Pour ce rôle, il fallait bien plus qu’une actrice d’exception. Dominique Blanc a relevé le défi.
Ses regards d’outre tombe, ses danses immobiles, ses accès de fureur, ses sourires désespérés semblent imposer leur loi aux cadres, à la lumière. Pour une fois, quiconque utilisera le mot performance ne sera pas hors sujet. Car il s’agit d’une performance qui structure l’oeuvre, dictant ses propres pistes de montage et générant le hors champs.
Dominique Blanc était nominée pour le césar de la meilleure actrice. Personnellement, si une récompense devait saluer son travail, il me semble que ce devait être, à égalité avec le duo de réalisateurs, celle de la meilleure mise en scène.