Que la bête meure, 1969
Que la bête meure
Claude Chabrol
Le plus grand film de Jean Yanne et Maurice Pialat réalisé par Paul Gégauff. En réalité un film de Chabrol.
On se rappelle avec malaise de la déclaration de ce dernier qui décrivait Jean-Marie Lepen comme un formidable emmerdeur. Chabrol, le marxiste, avouait une fascination pour l’anarchiste de droite, le beauf populiste. Comme si ce personnage, à priori nauséabond, forçait l’admiration par son aspect irréductible et sa manière de faire éclater le vernis de la bourgeoisie. C’est le rôle que se donnait dans la vie le scénariste Gégauff, riant de la consternation de ses interlocuteurs lorsqu’il affichait un racisme de provocation.
Décidément, l’homme politique anxiogène ferait un personnage éminemment chabrolien…
« Que la bête meure » est un monument du cinéma noir français, glauque comme un Duvivier d’avant guerre. Son aspect monumental tient à la bête du titre, à savoir Jean Yanne dans une composition énorme, comme il les affectionnait dans ces années 70, entre « Le boucher » du même Chabrol et « Nous ne vieillirons pas ensemble » de Pialat.
Fort en gueule, répugnant et charismatique, il incarne une certaine France, celle que l’on voit rarement au cinéma et qui a trop souvent été réduite à la caricature de Cabu. En face, Michel Duchaussoy joue bien, mais ne fait pas le poids. Yanne fait irruption à la moitié du métrage et dévore ses partenaires comme son personnage d’ogre humilie sa femme et pousse son fils au parricide.
Dans les dernières minutes, Maurice Pialat apparaît dans l’une de ses rares prestations d’acteurs. Il incarne le policier hitchcockien, celui qui résume l’intrigue aux spectateurs inattentifs. De sa voix douce et profonde, il résume surtout une morale qui arrive toujours trop tard. On imagine le cinéaste frustré de ne pas croiser l’autre acteur/réalisateur Jean Yanne (ils se rattraperont dans quelques années). Les rigolards Gégauff et Chabrol ont piégé le janséniste Pialat : il n’y a plus rien à expliquer !
A quoi ressemble un salaud ordinaire ? A quelqu’un de proche, de très proche …
Comment vaincre la bête ? Elle est increvable !
Johannes Brahms – Vier Ernste Gesange op 121
Musique du générique du film.
Il est à noter que le titre « Que la bête meure » qu’on retrouve dans l’oeuvre de Brahms, n’est pas à prendre au sens propre, justicier ou vengeur. Dans ce lieder, c’est plus de fatalité devant la mort qu’il s’agit (cette oeuvre est une des dernières composées par Brahms en hommage à un ami durement touché par une attaque cérébrale).
« Denn es gehet dem Menschen wie dem Vieh
wie dies stirbt, so stirbt er auch
und haben alle einerlei Odem
und der Mensch hat nichts mehr denn das Vieh
denn es ist alles eitel. »
Il en va de l’homme comme de l’animal
quand celui-ci meurt, l’homme meurt aussi.
Car tous ont un même souffle
et l’homme n’a rien de plus que l’animal
car tout ceci est vanité.
(voir aussi Le boucher, 1970 et Docteur Popaul, 1972)